Regards d’enfants !
Nous commençons les démarches administratives pour l’obtention des nouveaux visas plus d’un mois à l’avance, nous sommes tout à fait dans les temps. Pour faire un très court résumé de la procédure à suivre : préparer son dossier pour toute la famille (passeports, justificatifs de domicile, justificatifs de la société….), prendre le rendez-vous pour la visite médicale à Colombo , prévoir le règlement et ensuite présenter le tout au bureau de l’immigration. Ah ! Dit comme ça… on se demande pourquoi en parler en fait ! “Pour du vrai”, comme nous disions quand nous étions enfants, ce n’est pas si simple… pas si simple du tout ! Les expériences de plusieurs personnes nous font comprendre qu’il est très difficile d’entreprendre les démarches sans l’aide d’un avocat, surtout en ce moment… donc déjà le prix est plus du double du tarif officiel. Normal “tout travail mérite salaire”, mais pour une famille de quatre, pour une seule année… cela fait plus de 1500€, hors frais annexes (photographies, visite médicale…). Ah ! On l’aime notre vie à Sri Lanka , on est prêt à payer pour y rester, mais, c’est une importante somme à trouver chaque année ! Et puis ces derniers mois, les règles établies par le gouvernement concernant ce type de visa ne sont plus très claires. Il semblerait que les nouveaux visas résidents ne soient plus possibles, et que seuls les renouvellements le soient. Bien, pour nous, cela devrait donc être faisable ! Ces dernières semaines, nous n’étions pas certains de pouvoir prétendre au renouvellement. Nous pouvons donc rester confiants.
En ce moment, on assiste à beaucoup de départ.
Depuis mi-avril, tous les étrangers s’inquiètent des nouvelles règles concernant l’obtention des visas. Touristique, court séjour ou longue durée, visa résident, working visa… la série est longue et il est difficile de savoir auquel prétendre.
Pour la petite anecdote, triste anecdote pour nous…
Depuis plus de six mois, Milan vient chaque semaine au Yapukaday ; Milan est un petit garçon russe qui communique peu, car il ne semble pas vouloir parler anglais. Je l’entends seulement parler avec ses parents en russe, même si au fil des semaines, j'ai reçu de précieux cadeaux à travers quelques mots échangés (juste entre nous). Milan, il a un grand cœur, il est généreux et partage toujours ce qu’il a. Milan peut parfois s’emporter en quelques secondes. Milan, on a appris à le comprendre et à respecter son attitude. Milan, on l’aime beaucoup, on s’est attaché à sa personnalité. Et puis Milan, on ne le voit plus à Yapuka un samedi… puis deux… puis trois ! Milan est peut-être parti en vacances ou participe à d’autres activités ! Et puis un jour, je reçois enfin un message de son papa. Encore ces histoires de visa… encore ces histoires de nationalité… Encore ces histoires de guerre dans le monde… Et au milieu de tout cela, il y a Milan. Milan qui est un enfant de sept ans et qui, comme tous les enfants de son âge, se moque de la nationalité, de la religion, des frontières terrestres dessinées par l’Homme sur une carte… Milan, il veut juste jouer avec des copains et manger des gâteaux au chocolat ! Ses parents ont fui la guerre. Ils sont tous les trois heureux d’être sur cette île. Ils ont loué une petite maison et un scooter et ils apprécient chaque jour de vivre ici. Après neuf mois de visa touristique, ils partent en Inde pour quelques jours. En langage de voyageurs on appelle cela un “visa Run”, tu sors du pays (tu joues le jeu )et tu y reviens peu de temps après, ainsi tu récupères ton droit au visa touristique. C’est vraiment une pratique très régulière quand tu vies à l’étranger, sans travailler. Légal ou pas… je ne me prononce pas ! Il y a peut-être une absence dans le texte ou une règle qui n’est pas suivie ! Je ne sais pas. Bref, Milan et ses parents partent en escapade pour quelques jours en Inde. Puis reviennent à Sri Lanka retrouver le cours de leur vie ici. Ça, c'était le programme initial. Malheureusement, lorsqu’ils arrivent à l’aéroport de Colombo, l’immigration leur refuse l’entrée dans le pays. J’ai imaginé des centaines de fois ce qu’a pu ressentir ce petit garçon… qui a fui la guerre… qui refait une petite routine de vie ici… et qui ne peut même pas récupérer ses quelques affaires laissées dans la maison louée par ses parents ni dire au revoir à ses copains ! Le papa m’explique qu’ils sont restés trois jours à l’aéroport pour tenter de trouver une solution. Ils ont fini par monter dans un avion en direction de la Géorgie, où ils espèrent se recréer une petite vie paisible… À ce moment-là, le choc et la tristesse se succèdent. Je sais, il y a des règles à respecter, je sais que ces derniers mois, il y a eu beaucoup d’abus de la part de certains étrangers ici, à Srilanka. Je sais ,Je sais ,Je sais, Mais… c’est l’histoire d’un petit garçon qui voulait simplement jouer tranquillement, à l’abri des bombes et loin des conflits… et qui se voit chasser, car il y a des règles et des personnes irrespectueuses qui ont bouleversé l’équilibre des rapports humains.
Difficile d’être témoin de cette situation et de l’expliquer aux Yapukakids du samedi, qui viennent ici sans y emmener ni leur religion, ni leur nationalité, ni les conflits de leur pays… Alors, on décide de faire une petite vidéo pour dire au revoir à Milan… ce gentil petit garçon de sept ans au sourire d’ange et au regard doux. Alors voilà, on suit les règles, on remplit les cases vierges du dossier et on prend rendez-vous auprès du département de la santé pour la semaine prochaine (visite médicale)… et on espère que tout se passe comme on le souhaite. En fin de semaine, on tente une nouvelle expérience : les enfants passent un casting pour jouer dans un film ! Une grosse production indienne est à la recherche de figurants (enfants) pour le tournage d’un film qui aura lieu dans quelques jours sur l’île.
Et pourquoi pas Jadeon ?!?
On leur a proposé et ils ont tous les deux accepté ! Nous n’avons aucune idée de ce qui leur sera demandé.
Hyper motivés, je les entends répéter pendant des heures dans leur chambre et dans le jardin. Rapidement, je leur rappelle que tout sera en anglais, car ils semblent avoir oublié ce paramètre ! OK, pas de problème, on change de langue et on continue ! Ils s’inventent des scénarios et des émotions à jouer ! Ils chantent, ils dansent, ils crient, ils rient ! C’est une fois de plus très beau d’assister à leur complicité. Et puis le grand jour arrive, ils choisissent avec méthode leur tenue du jour.
Nous partons tous en tuctuc !
La pression monte… Nous rencontrons les organisateurs du casting, ils sont tous très sympathiques.
Ils souhaitent retenir une cinquantaine de figurants et, principalement, des « étrangers »… pour ne pas dire que des étrangers…Ils nous expliquent comment va se passer le tournage à Kandy et à Colombo. Ils annoncent quelle sera la rémunération des enfants et les conditions. Un enfant = un parent, frais de déplacement, logement et nourriture à leur charge… Bref, tout semble bien. Les enfants sont mis à l’écart pour être auditionnés. Les organisateurs nous expliquent alors en quelques mots le thème du film, qui semble être un univers très sombre pour le personnage principal. Bon… L’audition se passe dans une grande salle, loin du regard des parents qui se tiennent à côté. Léon n’est pas resté. À partir du moment où il ne nous voyait plus, il n’a pas tenu à y participer. Il faut dire que c’est assez impressionnant : tous les enfants parlent anglais couramment, tous les enfants se connaissent, l’audition se passe dans leur école !
Jade reste au milieu des autres enfants, elle en connaît quelques-unes qui viennent aux ateliers @Yapuka du samedi ! Et puis Jade, c’est surtout elle l’actrice ! En moins d’un quart d’heure, la voici qui sort de la salle en pleurant et en hurlant. Que s’est-il passé ? Elle se réfugie dans nos bras et nous explique qu’elle ne peut pas supporter la vue de ce qui se passe. Pour l’audition, il est demandé aux enfants de jouer une scène dans laquelle ils se retrouvent face à un homme menaçant, qui souhaiterait les battre… Ils veulent voir la peur et la détresse dans le regard des enfants. Impossible pour Jade ! Nous sommes rassurés et la rassurons à notre tour. Nous la soutenons, nous sommes très fiers qu’elle ait osé partir et assumer son choix. On lui explique également que c’est un film… et que c’est ainsi que les films sont tournés, c’est du cinéma et les enfants ne seront pas battus, c’est un jeu de caméras. Elle répond : « Mais, même dans un film, aucun enfant ne devrait vivre une telle violence… » « Je ne comprends pas. » La famille se réunit autour d’elle, nous la prenons dans nos bras et nous rentrons tous à la maison…